Sisco, requin parmi les requins
À l’occasion de la sortie du tome 6 de Sisco, Barbacom vous propose un focus sur cette série détonante.
Sisco, homme de main du président français, est missionné pour débarrasser la nation de gêneurs et ainsi éviter des incidents diplomatiques. Son quotidien, régler les problèmes à coups de 9mm. Car Sisco n’est pas un héros classique : requin parmi les requins, liquider des personnes qui en savent trop ne lui pose aucun cas de conscience.
Benec, le scénariste, réussit ici un pari risqué : rendre attachant un personnage au premier abord antipathique. Ceci est peut-être dû aux failles que l’on sent chez Sisco. Des éléments intelligemment distillés au fil des tomes apportent de la profondeur au personnage. Un passé qui semble peser sur les épaules de cet anti-héros, une relation conflictuelle avec une sœur que l’absence rend omniprésente.
Le fonctionnement en diptyque apporte beaucoup de rythme. Chaque enquête est bouclée en 2 tomes. Grâce aux nombreux rebondissements ainsi qu’au dessin pêchu et précis de Legrain, le lecteur est happé dès les premières pages.
Attention cependant, bien que les enquêtes soient indépendantes, l’histoire personnelle de l’agent Sisco – en trame de fond – soude l’ensemble de la série. Il est donc important de suivre l’ordre de lecture.
Les Éditions le Lombard peuvent se féliciter d’avoir trouvé une nouvelle pépite pour sa collection Troisième Vague !
INTERVIEW SISCO – BARBACOM
Les auteurs de Sisco ont sympathiquement accepté de se prêter au jeu des questions-réponses.
D’où vient l’idée de cette série et comment est né le personnage de Vincent Sisco ? (concept et graphisme)
Benec – C’est d’abord l’histoire qui s’est imposée à moi, en relisant un bouquin sur les « affaires » liées à Mitterrand, notamment l’affaire Grossouvre. Ces affaires me semblaient être un matériau vraiment bon pour servir de base à différentes intrigues qui se dérouleraient dans l’ombre de l’Elysée. Le personnage de Sisco est venu ensuite, en choisissant le parti pris de se placer du point de vue du « méchant ». Ce parti pris me semblait assez novateur en BD (à ma connaissance du moins) et original. Un truc qui me plairait en tant que lecteur. Ce qui est amusant, c’est que ce type, un peu bad boy, n’est finalement pas si mauvais que cela, et qu’il rencontre pire que lui.
Legrain – Du point de vue graphique, Sisco est né dès mon premier essai sur le personnage. J’ai fait quelques modifications à la demande du Lombard, mais on est finalement revenu à la première version, pour s’y tenir définitivement.

Illustrations pour la couverture du tome 6 de Sisco – Cliquez pour agrandir
© 2013 Benec-Legrain/Le Lombard
J’ai voulu faire de Sisco un personnage séduisant (bien qu’il ne soit pas du tout séducteur) pour le rendre assez paradoxal : il n’a pas vraiment le physique d’un tueur froid et cynique tel qu’il est présenté au début de la série. Comme l’a dit Benoit, on a pris le parti de faire de Sisco un anti-héros, un personnage complexe, pas évident à aborder pour le lecteur, donc un physique relativement agréable n’était pas malvenu pour rendre le personnage un peu moins antipathique, au moins en apparence.
Sur les plans scénaristique et graphique, quelle a été la démarche pour apporter de la profondeur et du réalisme à la série ?
Benec – Pour ce qui est du réalisme de l’histoire, c’est en fait assez compliqué : lorsque l’on écoute certaines personnes du frayent dans ce milieu, les détails qu’ils donnent sont parfois tellement incroyables, ou saugrenus, que l’on pourrait douter de la véracité de leurs propos. Et pourtant … Je pars donc d’anecdotes ou d’histoires réelles que je retravaille, que je détourne, que je réécris pour en faire une nouvelle histoire. Le tout est alors d’être crédible plus que dans le véritable. Mais je préfère de loin concilier les deux. Je ne suis pas à l’aise lorsqu’il s’agit de compromis.
Legrain – De mon coté, dans cette même démarche de crédibiliser un maximum nos histoires, je me dois de reproduire le plus fidèlement les lieux dans lesquels se déroulent les intrigues. Et j’y suis d’autant plus obligé qu’une grosse partie de ces intrigues se passent en France, à Paris le plus souvent, donc dans des lieux connus de notre public. Pour cela, il faut une documentation assez importante. Même si Sisco ne se veut pas du tout être une série type docu-fiction, loin de là, crédibiliser un maximum le scénario fait partie intégrante du métier de dessinateur, surtout pour des bds du genre thriller politique, dont le lectorat est très attentif aux détails et au réalisme des histoires.
@Thom : On note une certaine minutie et une énergie particulière dans le traitement des voitures, des armes, et de l’architecture. Avoue, ça t’éclate ?
Legrain – Ca va t’étonner mais non, ce n’est pas ça qui m’éclate. Cette minutie sur les décors est exigeante, très contraignante, c’est souvent long et fastidieux, ça demande beaucoup de patience. Les beaux décors, les grands plans larges urbains, les planches très denses, c’est spectaculaire et ça plait aux lecteurs, et ça me plaît aussi, ça m’apporte beaucoup de satisfaction une fois le travail fini, mais ce n’est pas toujours marrant à faire. J’aime beaucoup plus dessiner les personnages, les mettre en scène, surtout dans les scènes d’action, là je peux me lâcher.
Pourquoi avoir opté pour un récit sous forme de diptyques ?
Benec – Par fainéantise (Rires). Non, sans rire, ce format présente de multiples avantages. Du point de vue du scénariste, ce format permet de développer des histoires plus facilement qu’en 46 ou 54 planches. Cela évite de devoir tasser – quoique, parfois, même avec 2 fois 46 planches … L’autre avantage, c’est que cela me donne plus de temps pour travailler sur l’histoire suivante. J’espère ainsi gagner en qualité … Enfin, pour le lecteur (et je me mets facilement à sa place), c’est la possibilité d’avoir une histoire complète en moins d’un an (on arrive à avoir environ 9 mois entre 2 albums d’un même diptyque).
Les personnages féminins gagnent de l’importance au fil des tomes, tandis que Sisco se dévoile. Faut-il y voir une relation ? Les femmes sont-elles le point faible de Sisco ?
Benec – Une relation, sûrement. Un point faible … tout dépend de la définition. Les femmes, sa grand-mère ou sa sœur notamment, Manon aussi, sont la part d’humanité que Sisco n’a pas pu ou su escamoter. Sa relation aux femmes est donc ultra affective et explique son caractère. Donc oui, c’est naturellement par ce biais qu’il nous a été possible de travailler un peu le personnage de Sisco et de montrer ses failles. Et il n’a pas fini d’en baver…
Le thriller politique est-il un genre particulièrement délicat à traiter ? Vous est-il arrivé de vous autocensurer pour ne pas choquer l’opinion ou pour éviter des parallèles sensibles avec des faits d’actualités ?
Benec – Je ne parlerais pas d’autocensure, mais de choix : il ne doit plus être trop possible, avec ce genre-là, de choquer le public d’aujourd’hui, lorsque l’on voit l’estime dans laquelle sont portés nos hommes politiques. Il suffit de voir l’affaire Cahuzac en ce moment. Les choix se font ensuite sur les faits utilisés : je n’aime pas trop l’actualité brulante car on manque de recul, on est plus facilement manipulé et un fait peut vite se transformer en feu de paille. Par contre, cela fait une bonne documentation. D’autre part, je pense que nos histoires sont suffisamment éloignées des faits pour que le lecteur, même s’il voit les références, n’imagine pas un instant que cela puisse être une possibilité. Il s’agit d’histoires imaginaires, même si « inspirées de ». En aucun cas de politique…
Legrain – Comme je l’ai dit précédemment, on ne fait pas du docu-fiction journalistique, on raconte l’histoire d’un personnage assez particulier évoluant dans le milieu très violent et très complexe de la politique. Et on le fait avec un brin de cynisme et un léger ton provoc’ sans doute, mais sans jugement moral. Nos histoires doivent être crédibles, référencées, documentées, mais nous n’avons pas du tout la prétention de dévoiler des secrets d’Etat et, en évitant les faits précis d’actualité récente, nous n’avons pas à nous autocensurer.
Combien de tomes sont prévus ?
Benec – Nous avons bien un chiffre en tête, mais pas d’objectif précis. Grosso modo : nous ne voulons pas faire le diptyque de trop. Donc tant que la série aura du succès, que Thomas aura l’envie de la dessiner, et moi suffisamment d’imagination pour trouver de nouvelles histoires sans faire de redites ou de banalités, nous continuerons avec plaisir. Par contre, nous préparons déjà ce qui sera la dernière aventure de Sisco : lorsque la fin sera là, il faut que le lecteur en ait pour son argent (rires). Plus sérieusement, nous voulons un final, pas forcément un feu d’artifices, mais quelque chose qui prenne le lecteur, pas un truc qui parte en eau de boudin.
Legrain – L’important est de savoir où on va, pour que l’ensemble de la série soit cohérente. Jusqu’à maintenant on se tient bien à nos idées de départ et on doit faire en sorte de continuer sur cette voie.
Imagineriez-vous créer une ramification à Sisco, par exemple sous la forme d’un spin-off ?
Benec – Ouh la ! Très honnêtement, ce n’est pas quelque chose à laquelle j’ai beaucoup pensé. « Techniquement », c’est faisable, on a un univers avec du potentiel, des personnages sympas. On pourrait imaginer un préquelle (comment Sisco est arrivé à l’Elysée), un spin-off avec un autre personnage (mais lequel ?). Aujourd’hui, ce n’est pas dans mes objectifs à court ou moyen terme : je préfère me concentré sur Sisco et continuer à travailler mes histoires, à améliorer encore le style, la narration, les personnages, les dialogues. J’ai encore de quoi faire, je vais éviter de me disperser.
Legrain – C’est en effet techniquement faisable, mais serait-ce une bonne idée ? Difficile à dire. Personnellement je ne suis pas trop fan de ce genre de concept. Même si certaines spin-offs sont de vraies réussites, la plupart du temps, ça sert surtout à tirer le filon jusqu’à plus soif et ça se sent. De plus, si Sisco est une série qui marche bien (et c’est tant mieux pour nous), nous ne jouons pas dans les mêmes eaux que d’autres séries comme IR$ ou Alpha, dont les spin-offs se justifient plus aisément d’un point de vue commercial. En tout cas, pour lancer une spin-off, mieux avoir un projet très solide.
Que nous réservent les prochains tomes ?
Benec – Secret d’Etat. Si on te le disait … on se ferait de la pub avec ton cadavre flottant sur la Seine … Franchement, difficile de lâcher quoique ce soit sans gâcher quelques twists que je me réservais. Rien que la chute du tome 6 devrait intriguer et annoncer ne serait-ce qu’un aperçu des tomes 7 & 8 … OK. On peut dire que Sisco va se retrouver dans une telle mouise aux USA qu’il va être mis à pied voir peut-être se faire virer du service (mais je ne vous dirais pas où et quand). Mais bon, difficile de virer quelqu’un d’un service spécial sans risquer de voir quelques cadavres sortir du placard. Sisco ne devrait donc pas être mis au rencard définitivement, ou alors les pieds devant, ou pas … C’est bon, je reste assez mystérieux, non ? (rires).
Quel est le bilan aujourd’hui ? Sisco semble être parvenu à s’extirper de l’ombre d’IRS. Qu’en est-il vraiment ?
Benec – Il est vrai que des séries comme IR$ ou Alpha, pour ne citer que celles du Lombard, sont des références que nous n’égalons pas encore loin de là, soyons honnêtes. Mais il est aussi vrai que la série semble avoir trouvé son public, probablement parce que nous ne marchons pas exactement dans le même chemin tracé par nos illustres prédécesseurs. Le côté franchouillard, le héros, ou plutôt l’anti héros qu’est Sisco, des lieux connus et traversés par nombre de lecteurs … Cela change un peu, je pense, j’espère. Pourvu que cela dure.
Legrain – Tu sais, arriver à avoir un certain succès avec un personnage pareil, pas très commercial de prime abord, ce n’était pas gagné d’avance, même au sein d’une collection grand public aussi connue que Troisième Vague. Personnellement, je suis déjà très content du chemin parcouru, de l’évolution du personnage et du succès commercial très honorable durant cette époque économique peu favorable aux nouvelles séries que l’on vit actuellement. Et on peut aussi être contents qu’au Lombard on nous ait fait autant confiance et laissé autant de liberté malgré notre jeunesse et notre manque d’expérience. On aimerait évidemment encore augmenter notre lectorat, mais ce n’est vraiment pas simple. Avant tout, on doit continuer dans la voie qu’on a choisie avec Sisco, continuer à s’améliorer, continuer à fournir un travail de qualité et peut-être gagnerons-nous encore de nouveaux lecteurs à terme.
Vous avez des projets dont vous souhaiteriez nous faire part ?
Benec – Je travaille essentiellement pour Sisco, mon premier objectif. J’ai bien 2-3 autres projets, mais qui avancent assez lentement. Un projet sur la guerre d’Indochine, avec un point de vue un peu différent que ce que l’on peut avoir souvent, un projet d’anticipation, une sorte de thriller technologique, et un projet d’aventure/comédie dans l’Amérique des années 50. Bref, encore du travail en perspective.
Legrain – J’ai d’autres projets très intéressants qui se mettent en place, mais il n’y a encore rien de signé. Il faudra également voir comment ces autres projets se goupilleront avec Sisco, que je ne compte aucunement abandonner au profit exclusif d’une autre série car j’aime trop ce personnage, je veux l’emmener au bout du chemin. Ca ne pourra donc être que des projets courts, pour ne pas empiéter de trop sur le rythme de parution de Sisco. On verra bien.
Barbacom – Merci à vous deux pour cette interview passionnante !
Retrouvez davantage d’informations sur :
Le site de Benec
Le site officiel de Sisco
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Série : Sisco
Dessinateur : Legrain
Scénariste : Benec
Éditeur : Le Lombard
Collection : Troisième Vague
Nombre de tomes sortis : 6